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"Elong Abe voulait se payer quelqu’un de connu, et c’était Yvan Colonna" 


Julia Sereni le Mercredi 30 Mars 2022 à 13:35

Ce mercredi 30 mars, la commission des lois de l’Assemblée nationale a auditionné le chef d’établissement de la Maison centrale d’Arles, Marc Ollier, ainsi que l’ancienne directrice, Corinne Puglierini, afin de tenter de faire la lumière sur l'agression mortelle d'Yvan Colonna. À l'issue de cette deuxième audition, de nombreuses zones d'ombres persistent pour les députés.



La commission des lois de l'Assemblée nationale a auditionné les deux chefs d'établissement de la centrale d'Arles. Photo : Capture d'écran du site de l'Assemblée nationale
La commission des lois de l'Assemblée nationale a auditionné les deux chefs d'établissement de la centrale d'Arles. Photo : Capture d'écran du site de l'Assemblée nationale


« Elong Abe voulait se payer quelqu’un de connu, et c’était Colonna. » Le chef d’établissement de la Maison centrale d’Arles, Marc Ollier, a livré ce mercredi 30 mars, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, son intime conviction sur l’agression mortelle dont a été victime le militant nationaliste. Avant de se laisser gagner par l’émotion, et de lâcher, dans un sanglot : « Je suis ému, je ne connaissais pas Colonna, mais c’est un être humain ».
 
Si le nouveau directeur ne connaissait pas le berger de Cargèse, c’est parce qu’il a pris ses fonctions le 1er mars, soit la veille de l’agression d’Yvan Colonna par Franck Elong Abe. Corinne Puglierini, l’ancienne directrice de l’établissement, plus à même de retracer les parcours des deux détenus, était donc, elle aussi, conviée au Palais Bourbon. La commission des lois a débuté, le 16 mars dernier, un cycle d’auditions sur « les conditions de surveillance et la situation pénitentiaire de M. Yvan Colonna, ainsi que sur le parcours de détention de son agresseur, M. Franck Elong Abe ».

Franck Elong Abe montrait « de la patience, de l’écoute et aucun signe d’énervement »

La personnalité de ce dernier, tout comme son parcours, tels que décrits par les deux chefs d’établissement, ont de quoi étonner. Corinne Puglierini dépeint l'ancien combattant du Djihad en Afghanistan comme un homme « discret, calme, correct, poli, courtois » et même « ouvert aux discussions ». « Ce que nous avait montré Franck Elong Abe lors des évaluations, c’était de la patience, de l’écoute et aucun signe d’énervement », ajoute t-elle.

Par ailleurs, le détenu a régulièrement demandé à vouloir travailler. Si les premières demandes ont été refusées, il finalement obtenu fin 2021 un poste d’auxiliaire sportif, et donnait « entière satisfaction » dans ses fonctions. « Ce n’était pas tant un risque de passage à l’acte en détention qui était craint, la question était de préparer sa sortie en 2023 », conclut la cheffe d’établissement.

« Deux poids, deux mesures »

Franck Elong Abe, détenu modèle ? Les députés peinent à y croire. Et surtout, ils ne comprennent pas comment un prisonnier manifestement radicalisé a pu bénéficier d'un certain nombre de libertés. Le député de Corse-du-Sud Paul-André Colombani, le rappelle : « Le parcours carcéral de Franck Elong Abe est assez éloquent : il a pris en otage des gens, il a brûlé des cellules, il s’est laissé pousser une barbe, il refuse de parler à sa mère pour des problèmes de radicalité, il est ancré dans ses idées, et malgré cela, on lui lève son isolement, on lui permet d’être auxiliaire, on va le libérer dans quelques mois, et on lui trouve, bien évidemment, un rendez-vous à Pôle Emploi ».
 
« Monsieur Elong Abe est chouchouté », renchérit le député de Haute-Corse Jean-Félix Acquaviva, qui pointe un « deux poids, deux mesures », dans les parcours de Franck Elong Abe et Yvan Colonna. « Comment les 15 derniers mois de détention peuvent gommer 50 incidents, une prise d’otage, une attitude de sauvage en Afghanistan ? Et comment, de l’autre côté, on a un autre régime de maintien de DPS forcené qui pousse à l’excès de zèle pour Yvan Colonna ? », interroge t-il. « Le comportement d’Yvan Colonna justifiait-il le maintien de son statut de DPS ? », abonde le président du groupe UDI Jean-Christophe Lagarde. Sur ce point, Catherine Puglierini répond : « Yvan Colonna n’était pas un détenu modèle, mais ce n’était pas un détenu compliqué, même s’il avait son caractère ».

« Je vous confirme très solennellement qu’il n’y avait pas de témoin »

Autre point crucial, la raison de l’agression. Celle avancée par Franck Elong Abe, à savoir le blasphème, laisse sceptiques certains parlementaires. « Considérez-vous crédible l’assertion selon laquelle Colonna aurait blasphémé ? Était-il provocateur et avait-il seulement intérêt à le faire ? », interroge le député de Haute-Corse Michel Castellani. D’emblée, Marc Ollier donne son sentiment : « Cela ne me parait pas très crédible, c’était quelqu’un d’ouvert ».

Pour Jean-Félix Acquaviva, tous les scenarii sont possibles. « Nous sommes là pour traiter de la possibilité de la préméditation, mais aussi de la possibilité qu’un tiers ait pu commanditer cet assassinat. » Maintenance au moment de l’agression, défaut de surveillance, autant d’éléments troublants pour le député MoDem François Pupponi. « On se demande même si Franck Elong Abe n’est pas venu exprès à Arles. Je ne veux pas tomber dans la paranoïa aigüe mais à un moment donné, cela fait beaucoup. »

« Pouvez-vous nous dire de manière certaine qu'il n'y a pas eu de témoin ce jour-là ? », demande donc Jean-Félix Acquaviva aux chefs d'établissement. « Je vous confirme très solennellement qu’il n’y avait pas de témoin », répond sans hésiter Marc Ollier, affirmant par ailleurs qu'il est « impossible » de surveiller tous les détenus en même temps, DPS ou non. Loin d'être levées, les zones d'ombre persistent encore après cette deuxième audition parlementaire.